À travers vignes et reliefs : nouveaux horizons des vins rouges, blancs et rosés de la Drôme

12 octobre 2025

À la rencontre des vignes et des paysages de la Drôme

Évolution des cépages et diversité locale : une cartographie en mutation

Première observation frappante : l’assiette ampélographique des domaines drômois, ces dernières années, continue de s’élargir. Si le Syrah demeure la colonne vertébrale des rouges du secteur Rhône septentrional (notamment dans la Drôme des Collines), on constate une progression sensible de cépages anciens ou autochtones.

  • Clairette : Historiquement pilier du Diois, elle continue de dominer le blanc et le pétillant (Clairette de Die). À l’échelle départementale, sur les 23 000 hectares de vigne en Drôme selon l’INAO, un quart environ serait dédié à la Clairette (source : Préfecture de la Drôme - Chiffres Clés Viticulture 2022).
  • Viognier : Originaire du Rhône nord, il gagne du terrain dans des assemblages créatifs, même en IGP ou AOC Drôme. Fraîcheur, aromatique expressive et adaptation aux étés chauds sont recherchées.
  • Grenache, parfois Noir, se retrouve aujourd’hui autant dans les rouges que dans des rosés prêts à la garde.
  • Marselan, Caladoc : Cépages résistants récemment mis en avant, pour leur aptitude à limiter les traitements phytosanitaires, gagnent (lentement) du terrain. Le syndicat des vignerons ardéchois (source SudVinBio) observe +5% de surface annuelle pour Marselan dans le sud Drôme/Ardèche.

Cette diversité, dictée autant par l’adaptation climatique que les attentes des vignerons et des consommateurs, donne lieu à des essais de microparcelles, des assemblages hybrides et le retour, timide mais réel, de variétés oubliées (Ex : Chatus planté à et autour de Luc-en-Diois).

Biocontrôle, biodynamie, et minimalisme : une viticulture en repensant ses gestes

La Drôme fait figure de proue nationale sur ce terrain : en 2021, près de 41% des superficies en vigne étaient certifiées AB ou en conversion (source : Agence Bio). L’un des taux les plus élevés de France. Sur le terrain, cela induit de nouveaux gestes :

  • Couverts végétaux : adoption quasi systématique dans les Coteaux de Die et certaines zones de la vallée du Rhône drômoise. Ils limitent l’érosion et favorisent la biodiversité, mais complexifient la gestion hydrique.
  • Essor des tisanes et décoctions : ortie, prêle, consoude, en pulvérisation. Non pas par effet de mode, mais comme barrière alternative à la chimie conventionnelle.
  • Sulfitage réduit : dans la vinification des rouges, nombreux domaines visent moins de 40mg/L de SO2 total, alors qu’en 2000 la moyenne nationale était au double, voire triple pour des rouges (source : IFV, Institut Français de la Vigne).
  • Expérimentations sans intrant (“vin nature”) : quelques caves phares comme Les Vigneaux à Châtillon-en-Diois ou Ferme des Arnaud à La Roche-sur-le-Buis s'y illustrent et inspirent leurs voisins.

Rouges, blancs, rosés : toucher la fraîcheur malgré le réchauffement

Depuis 20 ans, la Drôme connaît une hausse de température de +1,2°C en moyenne annuelle (source : INRAE). Les dates de vendanges ont avancé d’environ 2 semaines sur 30 ans, poussant les domaines à rechercher la fraîcheur – qui fait signature de la vallée.

  • Rouges : Pratiques de vendange nocturne, macérations courtes, élevages moins marqués par le bois permettent de préserver fruits rouges vifs et trame acide. Beaucoup de domaines limitent progressivement le degré en alcool (souvent plafonné à 13,5% sur les cuvées “de soif”).
  • Blancs : Pressurage direct rapide, protection contre l’oxygène, travail sur lies fines. De nouveaux blancs issus de parcelles élevées (900m, comme sur Lus-la-Croix-Haute), offrent des profils cristallins. Certaines micro-cuvées flirtent avec les 11,5% vol, renouant avec des profils “alpine”.
  • Rosés : Montée en gamme : choix de parcelles expérimentales, pressurage lent pour trouver la juste teinte (pas trop pâle), maintien d'une colonne vertébrale acide. Selon Inter Rhône, le rosé représentait en 2022 déjà 13% des volumes contre 7% en 2010 : croissance fulgurante, liée à la pratique de plus en plus qualitative.

Cuvées signatures et nouveaux profils de dégustation

La Drôme n’a pas l’uniformité de grands vignobles de monocépage. Elle cultive la nuance, et beaucoup de domaines l’expriment via des cuvées atypiques :

  • Assemblages innovants : Chenin en microcuvée en Val de Drôme, Viognier en blanc sec à la frontière du Diois, Syrah-Marselan en rouges.
  • “Pet-nat”, oranges, amphores : Quelques caves lancent chaque année des bulles naturelles (“pétillant naturel”) ou vinifient en amphore, comme au Domaine des Miquettes à Cheminas, jouant sur la texture et la digestibilité.
  • Monocépages éphémères : Certains décident de mettre en lumière le Pinot noir dans les hauteurs, le Cinsault sur argiles rouges, ou la Roussanne sur calcaires.

On note, en cave comme à la boutique, une vraie envie de pédagogie : fiches détaillées sur les terroirs, focus sur des vinifications singulières, journées portes ouvertes en pleine vendange pour sentir, goûter, comprendre.

Retour aux terroirs, nouveaux récits paysagers

Si les tendances de production sont marquantes, elles s’accompagnent d’un récit renouvelé des domaines sur leur paysage. Les viticulteurs – jeunes installés comme anciennes familles – expriment leur attachement aux reliefs, et le revendiquent sur leurs étiquettes et supports :

  • Les cuvées “Les Terres rouges”, “Coteau de Brézème”, “Envolée sur les Balmes” ou “Roc d’Arboussières” mettent autant en avant la géologie que les cépages.
  • Regain d’intérêt pour les sols : profils géologiques détaillés en boutique, balisage de sentiers, explications sur le calcaire ou les marnes.
  • L'œnotourisme change : balades entre vignes et sous-bois, dégustation au bord de la rivière, rencontres avec apiculteurs ou éleveurs voisins. Selon Rhône-Alpes Tourisme, plus de 60% des touristes visitant la Drôme rural recherchent “une expérience œno-paysagère” (baromètre 2023).

Perspectives, enjeux et singularités locales à surveiller

L’avenir de la Drôme viticole se jouera dans la gestion de la ressource en eau (projet collectif “Drôme Vignes Durables”, lancé avec la Chambre d’Agriculture en 2022), l’acceptation ou non des cépages PIWI (interspécifiques résistants), la gestion raisonnée du foncier (pression autour de villes comme Crest ou Romans), et la capacité à garder cette dimension sensuelle et humaine du vin.

  • Face à la raréfaction de la main-d’œuvre agricole, les domaines repensent aussi l’accueil : accueil partagé entre plusieurs exploitations, circuits courts, ateliers pédagogiques en plein chantier de vendange.
  • Lieux de dégustation réinventés : cabanons de vigne, bivouacs, food-trucks en plein rang pour attirer une clientèle plus jeune.
  • Des partenariats émergent avec brasseurs et distillateurs locaux pour mutualiser énergie et créativité.

La Drôme, terre de passage et de mélanges, dévoile chaque année de nouveaux visages. Ce qui s’y joue aujourd’hui annonce, à petite échelle et loin des projecteurs, les équilibres de demain pour la viticulture française : ménager l’authenticité, répondre à l’urgence environnementale, et préserver la promesse de vins qui racontent la diversité – autant celle des sols que des sensibilités humaines.